Nous nous sommes retrouvées par hasard boulevard Albert 1er, toutes deux plantées devant la souche-poubelle, attirées par la vision aussi déplaisante que surprenante de celle-ci – dressée comme un moignon devant la petite chapelle. Consternée, la religieuse me dit « ce n’est pas malheureux de voir ça ? » « C’est lamentable, mais pourquoi l’a t-on coupé ? » Elle l’ignore ; et tandis que nous évoquons le bel arbre que nous avions connu à cet endroit, j’indique la chapelle. « Au moins elle, elle tient le coup » et je pense à la bâtisse de belle allure qui a fait place à cette masse de béton, et dont la chapelle est une sorte de fantôme, de souvenir attendrissant. « On va la raser » dit-elle avec un regard mélancolique, « c’est nécessaire pour agrandir la maison de retraite, nous a-t-on dit. » Je compatis ; elle est désolée… Tout ce que représente cette chapelle pour elle …« Ca nous fait mal au cœur mais on ne peut faire autrement, ce n’est pas rentable. »
J’ai consulté par la suite le projet de permis de construire « l’augmentation de la capacité d’accueil est vitale du point de vue économique pour l’établissement » : de 62 lits actuellement, « ils » vont passer à près de 100.
Dans un élan de sympathie et de colère – encore un élément du patrimoine de notre quartier qui sera sacrifié – « mais ne pouvait-on pas l’empêcher ? il me semble que c’est vous les Sœurs qui décidez, alors si vous ne voulez pas…» « On a essayé mais en haut lieu – elle lève une main vers Paris ou vers le ciel – ils n’ont pas voulu, ils disent que c’est indispensable ; on a même fait une pétition ! »
Une pétition ! à qui ? Sûrement pas au Bon Dieu ! Mais pourquoi les Sœurs ne nous l’ont-elles pas fait passer, cette pétition ?! Nous l’aurions signée plutôt deux fois qu’une, et sans doute avec nous bien des gens du quartier !
On ne peut faire autrement que « les » croire sur parole. Et pourtant, je m’étonne : « ils » viennent de s’apercevoir que ce n’était pas rentable, ou c’est pour mieux nous faire avaler la pilule qu’ils rasent en deux temps, à quelques années d’intervalle ? Le résultat est que c’est près de 100 mètres de façades qui vont apparaître sur cette séquence des boulevards.
Qu’on ne vienne pas nous dire que nous ne souhaitons pas que les personnes âgées puissent continuer de vivre dans leur quartier, mais on pouvait faire mieux que ça, non ?
En passant devant la chapelle, jetons lui un dernier regard nostalgique en attendant les premiers coups de pelle.
Article paru dans le journal Cauderes n° 20